Dans son premier seul-en-scène « Ma République et moi », le comédien Issam Rachyq-Ahrad croise le personnel et le politique pour, à travers la figure de sa mère, donner la parole à une partie de la France pointée par les discours les plus rances sur l’identité et l’intégration. Un spectacle à voir au Festival de l’Arpenteur.
/ Par Aurélien Martinez
« Longtemps, j’ai caché ma mère », confesse sur scène le comédien, auteur et metteur en scène Issam Rachyq-Ahrad, détournant ainsi l’incipit d’un fameux roman de Marcel Proust. Cette même mère, qui déclare que la littérature est une activité de bourgeois, qui n’écoute que Dalida et qui, lorsqu’elle allait chercher son fils à l’école, n’était pas cheveux au vent comme les mamans des camarades de classe du petit Issam, est aujourd’hui en majesté au cœur du seul-en-scène à la fois sensible et politique de son enfant de 40 ans.
Soit un titre (Ma République et moi) du même nom que ces journées civiques organisées par une maison de quartier de Belfort pour sensibiliser les jeunes à la vie démocratique. En 2019, c’est pendant l’une d’elles qu’un petit groupe d’enfants a assisté à une assemblée plénière du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Et c’est ce jour-là que l’élu RN Julien Odoul a choisi pour publiquement réclamer l’exclusion d’une accompagnatrice du groupe au motif qu’elle portait un « voile islamique ». La séquence, filmée, a longuement été commentée médiatiquement. Six ans plus tard, elle est diffusée sur scène par Issam Rachyq-Ahrad, alors que dans un autre tableau, il projette la série de remarques racistes que la femme visée a reçues en ligne. Révoltant.
« Rassurez-vous ! »
« D’où tu viens ? » est une question qu’Issam Rachyq-Ahrad, qui est d’origine marocaine, a souvent entendue. Et lorsqu’il répond « de Charente », il voit bien dans le regard de son interlocuteur que ce n’est pas l’information attendue. Lui en rit, et tente d’ailleurs de rire de toutes les violences verbales et de tous les stéréotypes. À l’image de l’ouverture de son spectacle quand, après avoir employé des mots arabes, il demande si quelqu’un peut traduire à la partie du public qui ne comprendrait pas. « Car il y aura beaucoup d’arabe dans le spectacle. Enfin, de langue arabe je veux dire, rassurez-vous ! »
En partant de son cas, jeune garçon pas forcément destiné à être comédien mais qui a finalement fait une grande école de théâtre publique, et de sa famille (principalement sa mère Malika, qu’il incarne sur scène comme dans tout bon seul-en-scène autobiographique qui se respecte !), Issam Rachyq-Ahrad a trouvé la bonne position, le bon ton. D’où une proposition simple, humble, qui, si elle résonne fortement avec la banalisation actuelle des thèmes de l’extrême droite, embrasse subtilement et généreusement large, à l’inverse des idées rances qu’elle dénonce.
Photo © Quentin Petit