À l’affiche de la 8e édition du festival Bien L’Bourgeon, Theodora a pendant longtemps peaufiné les multiples strates de son foisonnant univers musical… avant de se voir propulsée à vitesse stratosphérique sur le devant de la scène à la faveur d’un tube irrésistible, Kongolese sous BBL. On retrace les étapes.
/ Par Damien Grimbert
Hiver 2023. À la faveur d’une chronique enthousiaste dans un webzine confidentiel au goût très sûr (Musique Journal), on saute de plain-pied dans l’univers de Theodora, découvrant avec six bons mois de retard ses deux EPs sortis au printemps, Lili Aux Paradis Artificiels Tome 1 et 2. Onze morceaux, même pas trente minutes de musique au total, et une créativité absolument démesurée. Au niveau des instrumentaux déjà, signés par son frère producteur Jeez Suave, qui virevoltent avec maîtrise entre une multitude d’influences dansantes hyper-contemporaines : UK garage, hyperpop, drum’n’bass, jersey club, eurotrance, amapiano… Un condensé virtuose mais qui a le bon goût de ne jamais tomber dans la démonstration, servant avant tout d’écrin au chant hors-norme de Theodora et à son grain de voix reconnaissable entre mille, qui glisse avec aisance et se métamorphose avec souplesse d’un morceau à l’autre. Joyeuses et colorées, les esthétiques contrastent d’autant plus violemment avec des paroles en proie à un profond spleen : mélancolie, noirceur, angoisse et solitude, tout n’est pas rose dans l’univers de Theodora, apportant encore une touche de complexité à une artiste dont on est encore loin d’imaginer la trajectoire à venir.
TikTok Love Story
En effet, il s’en serait fallu de pas grand-chose, au final, pour qu’en dépit de son talent, Theodora reste cantonnée au statut de simple secret pour initié. La différence, c’est la conjugaison d’un réseau et d’un morceau qui va la créer : en septembre 2024, Kongolese sous BBL débarque sur TikTok en avant-première de sa mixtape Bad Boy Love Story et atteint quasi instantanément un niveau de viralité démesuré. Problème : si le morceau cartonne, notamment en bande-son des vidéos d’une fameuse créatrice de contenu, le nom de Theodora n’est mentionné nulle part. S’en suit rapidement une polémique sur l’invisibilisation des artistes noires au profit des influenceuses blanches. L’injustice est à peine réparée qu’une nouvelle polémique prend le relais. L’instrumental de Kongolese sous BBL s’inspire en effet ouvertement d’un courant musical, le bouyon, né en Dominique et en Guadeloupe et extrêmement populaire dans les Antilles françaises. Si la démarche de Theodora elle-même n’est pas remise en cause, le fait qu’aucun média ne mentionne les origines stylistiques du morceau est en revanche vécu comme une nouvelle preuve du dédain de la France métropolitaine pour les formes culturelles venues d’outre-mer.
Big Boss Lady
Alors qu’il aurait pu signer la fin d’une artiste moins solide, le succès de Kongolese sous BBL a au contraire servi de projecteur à Theodora dont on a déjà vu qu’elle n’avait nul besoin de tube viral pour briller. Après avoir partagé la scène avec Shay ou encore Chilly Gonzales, entamé au mois de mars une tournée de longue haleine et vu un nouveau morceau de sa mixtape (Fashion Designa) monter en puissance, elle tease aujourd’hui une version rééditée de cette dernière, enrichie de featurings inédits dont un titre avec la Nigériane Brazy qui semble bien parti pour régner en maître sur les dancefloors afro-diasporiques cet été. Alors, fini le spleen ?
Le retour des bourgeons
Festival pluridisciplinaire autour de l’écologie et de la culture organisé par l’association Mix’Arts, Bien L’Bourgeon se déploiera cette année sur un nouveau site, situé à Gresse-en-Vercors. Centrée autour de la thématique des médias, cette 8e édition abordera pendant trois jours la manière dont ces derniers traitent l’actualité politique et les enjeux écologiques, leur indépendance dans le contexte actuel, l’évolution des nouveaux médias, sans oublier les alternatives existantes pour le développement de discours pluriels et de raisonnements nuancés… Le tout au travers d’une multitude de conférences, projections et spectacles en journée, auxquels succéderont à la nuit tombée trois soirs de concerts à l’affiche bien fournie. Au programme aux côtés de la « boss lady » Theodora, des artistes comme le Benin International Musical, Akira & Le Sabbat, Acid Arab, le rappeur Médine… Sans oublier quelques valeurs sûres locales comme Lwanbé ou encore Arash Sarkechik.
Photo ©Tone Verswijvel