Spectacle généreux qui célèbre les petites mains des maisons de couture, « Lacrima » de la metteuse en scène et autrice Caroline Guiela Nguyen est une immense réussite à voir à la MC2.
/ Par Aurélien Martinez
La comparaison avec les séries revient souvent lorsqu’il est question du théâtre de la metteuse en scène et autrice Caroline Guiela Nguyen, et ce n’est en rien dépréciatif. Car plus que de ramener l’art de celle qui, ces dernières années, a livré de grandes réussites (Fraternité en 2021, Saïgon en 2017…), à un vulgaire objet de consommation télévisuel, il s’agit de mettre en exergue son talent dans la construction de récits qui happent le public tout en lui donnant de la matière à penser, façon chef-d’œuvre des séries donc. Lacrima, fresque de trois heures créée l’an passé, en est une nouvelle démonstration éclatante.
C’est l’histoire – il y a toujours des histoires avec Caroline Guiela Nguyen – d’une robe de mariée conçue pour une princesse anglaise ; et, par-dessus tout, de celles et ceux qui, à Paris, Alençon et Mumbai, s’affairent en coulisse pour que tout soit prêt à temps. Il y a les tâches, minutieuses, capitales, de ces petites mains liées les unes aux autres, et leurs vies, chamboulées par cette mission immense, ainsi que les souffrances tues parce que non entendues par beaucoup. « Quand je sens que ces histoires-là ne sont pas encore dans le domaine public, comme l’histoire des brodeurs indiens, j’ai envie de voir s’il y a des gens pour regarder les peines ou les douleurs de ces personnes », expliquait Caroline Guiela Nguyen en interview (à France Inter).
Œuvre totale
Tout commence par la fin, par un geste désespéré de la première d’atelier d’une maison de haute couture parisienne. Avant que la narration ne remonte le temps en séquences telle une succession d’épisodes aux complexes ramifications pourtant limpides sur le plateau, grâce à une écriture précise et à une scénographie ambitieuse convoquant notamment la vidéo. La France, l’Inde, si loin et si proches à la fois.
Autant soucieuse de la véracité de ce qu’elle raconte (elle a mené une longue enquête de terrain) que du fait d’englober de nombreux enjeux contemporains (par exemple le capitalisme qui broie des êtres à l’autre bout de la planète) tout en articulant un théâtre aimable (soit à mille lieues de celui qui ne s’adresserait qu’à des initiés), Caroline Guiela Nguyen présente une œuvre totale. Du spectacle vivant généreux littéralement pour tous, comme une série donc. Et c’est là la force remarquable du travail de celle qui dirige aujourd’hui le Théâtre national de Strasbourg : croire que le théâtre peut rassembler. Et, surtout, ne pas se contenter de professer ce mantra en espérant qu’il se réalise, mais réellement le mettre en pratique.
Photo ©Jean-Louis Fernandez