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Enquête

Les festivals doivent-ils se réinventer ?

/ Par Hugo Verit

C’est le grand absent de nos pages spéciales dans ce numéro : le Vercors Music Festival tire cette année sa révérence après plusieurs éditions compliquées et un déficit de 110 000€ à combler. Le non-renouvellement des subventions de la Communauté de communes du Massif du Vercors et de la ville d’Autrans-Méaudre a douché les derniers espoirs des organisateurs, contraints de plier boutique au bout de dix ans d’existence. Si les élus pointaient notamment des problèmes de gouvernance, le Vercors Music Festival évoque également un contexte morose dans un communiqué d’adieu paru le 19 avril dernier : « L’édition 2023 du festival a connu un déficit, comme de nombreux événements sur le territoire national (augmentation des coûts techniques, logistiques, sécurités et cachets artistiques…). »

En effet, depuis quelques années (et en particulier depuis le Covid), l’ensemble des festivals français alertent sur des problèmes économiques croissants. Dans son dernier bilan, le Centre national de la musique (CNM) publie des données sans appel : en 2024, 80 % des festivals déclarent avoir rencontré des difficultés, principalement d’ordre financier. Plus préoccupant encore : « Parmi les 70 festivals atteignant un taux de remplissage supérieur à 90 %, 44 % sont déficitaires, tandis que 23 % atteignent simplement l’équilibre. » Même un festival affichant complet peut finir dans le rouge… Alors, que se passe-t-il ?

« L’économie des festivals est en tension. C’était le cas avant le Covid avec des seuils de rentabilité qui étaient déjà extrêmement élevés, le taux de remplissage devant se situer entre 90 % et 96 % pour atteindre l’équilibre financier. Depuis le Covid, on a perdu 5 points de rentabilité. Donc ceux qui devaient faire 96 % de remplissage doivent maintenant faire 101 % », constate Stéphane Krasniewski, président du Syndicat des musiques actuelles (SMA) et directeur du festival Les Suds à Arles. En cause, le fameux effet ciseaux produit par une hausse de charges d’un côté et une stagnation, voire une baisse des recettes de l’autre.

La fin du toujours plus

Selon les chiffres du CNM, les festivals sont en majorité confrontés à une augmentation des dépenses techniques (58 % des répondants), suivies des dépenses artistiques (53 %) et de celles liées à la sécurité (44 %). « Pour y faire face, les deux leviers dont on dispose sont le prix du billet et l’augmentation des jauges, poursuit Stéphane Krasniewski. Mais les festivals souhaitent rester accessibles au plus grand nombre donc la marge de manœuvre en termes de tarif est limitée. Quant à l’augmentation des jauges, c’était clairement le modèle de développement pour beaucoup de manifestations pendant 20 ans : chaque année, on augmentait un peu la jauge pour avoir accès à des artistes de plus en plus renommés. Mais on est en train de revenir sur ce modèle, d’abord pour des raisons de soutenabilité environnementale, ensuite parce que l’accès aux artistes, notamment internationaux, est devenu beaucoup plus compliqué. »

Ces tendances globales se vérifient immédiatement lorsqu’on interroge le terrain. Michel Pernet, responsable communication du Travailleur Alpin – festival organisé à Saint-Égrève par le Parti communiste – confirme les hausses de charges : « Entre 2023 et 2024, l’équipement de la scène (sonorisation, lumière…) a augmenté de 29 % et toute la logistique de 16 %, ce qui induit des coûts en cascade car la contribution à la Sacem est calculée sur la base des dépenses. Donc on a aussi subi une hausse de 26 % sur la taxe Sacem… » Même son de cloche chez un mastodonte du domaine, le festival Musilac à Aix-les-Bains, qui souligne aussi certains surcoûts liés à la transition écologique : « Ces démarches sont nécessaires, mais cela engendre des frais supplémentaires. Mettre en place des toilettes sèches coûte plus cher que des toilettes chimiques par exemple », précise Rémi Perrier, directeur du festival.

Les cachets s’envolent

Mises bout à bout, toutes ces dépenses très concrètes grignotent une bonne partie du budget artistique, alors même que le prix des cachets a explosé ces dernières années. Organisateur, entre autres, du festival Bien l’Bourgeon à Gresse-en-Vercors avec son association Mix’Arts, Fabien Givernaud hallucine devant le phénomène : « En 2025, notre programmation nous coûte 2,5 fois plus cher qu’en 2022. Cette année-là, on faisait jouer Biga Ranx pour 10 000€, aujourd’hui il n’accepte pas en dessous de 35 000€ ! Désormais, les artistes préfèrent assurer 15 dates très bien payées, plutôt que 30 dates avec un cachet moindre. Il est devenu très compliqué de trouver des têtes d’affiche… » Sauf que celles-ci restent incontournables pour maintenir une fréquentation satisfaisante. « D’autant que les gens sont bien moins ouverts à la découverte en ce moment. Ils préfèrent mettre 45€ dans un gros festival avec des noms connus, plutôt que 20€ sur une programmation découverte », ajoute Fabien Givernaud. Dans le Nord-Isère, le festival Les Outre-mers à Rives se retrouve ainsi dans un dilemme insoluble : jongler entre un budget très limité et la nécessité de programmer des artistes phares afin d’attirer le public sur un territoire déserté par la culture : « Pour notre première édition en 2022, on avait prévu une très grosse programmation. On avait vu trop grand. Aujourd’hui, on a réduit la taille du festival et on a moins d’artistes internationaux », explique Didier Semiramoth, président de l’association Peyotl.

Avec des subventions publiques à la baisse, des mécènes pas toujours au rendez-vous et des seuils de rentabilité stratosphériques, les faux pas en termes de fréquentation ne sont plus permis. Sur ce point, si les chiffres du CNM sont plutôt positifs, rien n’est jamais acquis. Rémi Perrier parle sans ambages d’un « coup de poker intégral » sans cesse renouvelé. En 2022, il avait pris la parole dans la presse, affirmant que Musilac était au bord de la faillite… Finalement ? « L’édition 2023 s’est très bien passée, celle de 2024 a été très moyenne et on fonde de bons espoirs sur 2025. C’est un tout, pas simplement une question de fréquentation. Mais pour l’instant, on a dépassé les 40 000 places vendues, il en manque 50 000 pour atteindre l’équilibre. Inch’Allah… » DJ Snake, Philippe Katerine, Clara Luciani, Zaho de Sagazan… L’événement savoyard ne manque pourtant pas d’arguments. Toutefois, les festivals cohabitent désormais avec de nouveaux concurrents : « L’implantation des Arena en région, comme la LDLC à Lyon, et le développement des concerts en stade (et on est évidemment concernés avec le Groupama Stadium) changent la donne. Sur des grosses têtes d’affiche, beaucoup de gens préfèrent aller à la LDLC à 19h30, s’asseoir devant le concert et rentrer à la maison, plutôt que de devoir regarder dix groupes dans la journée », observe Rémi Perrier.

Gare aux intempéries !

Ces immenses salles à grand spectacle ont un autre avantage : un toit. Comme chacun sait, de très nombreux festivals sont organisés en plein air, soumis à des aléas climatiques de plus en plus violents. Orages et tempêtes, canicules, alertes orange en tout genre se multiplient, particulièrement en période estivale – la haute saison des festivals. Première conséquence : les risques d’annulation sont plus importants et les assureurs, pas spécialement téméraires en règle générale, se montrent quelque peu fuyants… « Aujourd’hui pour Bien l’Bourgeon, on paye 7000€ d’assurance, c’est énorme ! Et on a intérêt à bien lire toutes les astérisques pour ne pas se faire avoir », confirme Fabien Givernaud. Le public, lui aussi, scrute avidement les nuages : « L’année dernière, il pleuvait la journée, mais pas le soir. Donc les concerts avaient lieu, mais beaucoup de gens se sont découragés. Comme ils prennent de plus en plus leur billet au dernier moment, la météo a d’autant plus d’impact », poursuit Fabien.

Face à toutes ces mutations, les festivals sont aujourd’hui en pleine réflexion. Aucune solution concrète n’a émergé de notre petite enquête, si ce n’est quelques adaptations propres à chacun. Afin de diminuer les coûts techniques, les Détours de Babel ont ainsi changé leur dispositif scénique pour leur journée en plein air à Fort Barraux : « Au lieu d’utiliser une grosse structure couverte pour la scène et des tentes pour le public, on a simplifié en installant une seule grande tente berbère. Cela nous a permis de maîtriser notre budget », explique le codirecteur Pierre-Henri Frappat. Au festival Les Suds à Arles, Stéphane Krasniewski nous dit avoir recentré sa programmation sur leur cœur de métier (la musique du monde), abandonnant les pas de côté plus pop… Quelques pansements, par-ci par-là, qui ne guérissent cependant pas les plaies. L’heure est donc à la remise en question en profondeur d’un modèle incertain. Alexandra Bobes, directrice de la fédération France Festivals, estime qu’il « est impossible de faire la même chose avec moins. C’est un vrai casse-tête pour les organisateurs. La chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est qu’il faut plus coopérer. Aujourd’hui, on en appelle à toutes les parties prenantes. Car c’est aussi aux pouvoirs publics d’y réfléchir. On a démontré l’importance des festivals sur les territoires. Leur annulation pendant le Covid a engendré une perte de 2,6 milliards d’euros en termes de retombées économiques en France. Par ailleurs, un tiers de ces événements sont situés en zones rurales, où il n’y a pas d’autres structures culturelles. Donc il faut réfléchir à une vraie politique publique pour nos festivals. » À bon entendeur…

Photo ©T.Bianchin – Musilac 2024

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