Didactique et ponctuée d’œuvres remarquables, l’exposition du Musée de Grenoble nous rend accessibles les techniques propres à l’estampe tout en nous invitant à réfléchir aux enjeux de la reproduction et de la diffusion des images. Instructif, parfois magnifique et souvent assez amusant !
/ Par Benjamin Bardinet
L’estampe a priori ça n’attire pas les foules (sauf les estampes japonaises bien sûr), mais il faut bien reconnaître que l’exposition du Musée de Grenoble s’est donné les moyens de renverser la tendance. En effet, grâce à différents dispositifs vidéo, les ingénieux procédés de production propres aux techniques de l’estampe n’auront plus de secret pour vous ; mais surtout, le parcours chronologico-thématique vous permettra de comprendre les différents usages de ces images reproductibles au fil des siècles. Les estampes ont, en effet, tout à la fois participé à entretenir le sentiment religieux, permis la diffusion des idées de la Renaissance, contribué à diffuser des messages moraux… Mais elles ont aussi et surtout été le support privilégié pour faire accéder certains artistes à la notoriété par le biais de la reproduction de leurs œuvres. Dans l’exposition, précisément, certaines des estampes sont présentées à proximité de l’œuvre picturale originale, ce qui permet de faire voir les faiblesses et les forces du procédé de la gravure (et de donner une idée du travail fastidieux de ces graveurs). Dans cette catégorie dite de « l’estampe d’interprétation », on ne manquera pas plusieurs œuvres qui résonnent étonnamment avec notre monde contemporain : le très amusant et éducatif Comme les vieux chantent, les enfants piaillent (sur l’influence des actes des adultes sur les enfants), L’Empire de Flore dont les métamorphoses des humains jouent des questions de genre, l’étonnante famille de centaures (dont on saluera la femelle à l’allaitement hybride) ainsi qu’Ulysse combattant Irus juste pour le plaisir de la délirante musculature de son fessier.
TRÉSORS CACHÉS
Cela dit, l’exposition présente également des œuvres ne se référant à aucun tableau existant, simplement réalisées par des artistes qui ont un goût particulier pour le dessin et un talent remarquable pour les techniques de l’estampe. Ainsi, au fil de notre déambulation, on tombe en pâmoison devant La mort de la Vierge de Rembrandt : à peine suggéré de quelques traits, le corps diaphane de la Vierge se noie dans un monumental lit à baldaquin au-dessus duquel apparaissent des anges sommairement esquissés, tandis qu’au premier plan, en contrejour, un homme tient un livre gigantesque (et accessoirement la composition générale). On sera subjugué par le délicat traitement des arbres et des feuillages chez Appian, Allemand ou Achard, fasciné par la douce lumière qui accompagne idéalement la méditation du saint Jean-Baptiste de Claude Mellan, embarqué par les Cornélis Schut dont le trait est aussi tourmenté que la vie du saint dont il fait le récit, captivé par les quatre savants d’Il Grechetto qui évoluent dans une atmosphère proche du fantastique. Tous ces artistes jouent à merveille avec les qualités propres aux différentes techniques de l’estampe et font ainsi surgir des images à nulles autres pareilles, émancipées de la référence à la peinture ; des images dans lesquelles le trait, d’une versatilité extrême et d’une finesse infinie, est tout puissant, seul maître à bord.

Musée de Grenoble