On ne s’ennuie jamais avec Teki Latex. DJ depuis la fin des années 2000 après de précédentes vies dans le rap et la pop, c’est avant tout un artiste aux passions aussi multiples qu’hyper-spécifiques, de la musique de jeux vidéo japonais en passant par la raptor house vénézuélienne et les comédies musicales américaines. Interview à l’occasion de son prochain passage à la Belle Électrique.
/ Par Damien Grimbert
Comment définirais-tu les composantes de ta matrice musicale, celles autour desquelles tu t’es construit ?
Teki Latex – J’ai toujours défendu une approche de nerd de la musique. Pour moi quand on s’intéresse à quelque chose d’artistique on va dans le détail, on analyse comment c’est arrivé, pourquoi, qu’est-ce qui s’est passé avant et après, quel en est le contexte socio-culturel. Une fois que l’on a identifié les scènes musicales, pourquoi elles existent et ce qui les différencie, on peut commencer à éventuellement les mélanger. J’ai commencé par le rap donc je dirais que ma façon d’envisager la musique est liée au principe d’amalgamation, de détournement et de transformation du hip-hop et plus généralement du sample. On prend quelque chose qui ne nous est pas forcément adressé et on le transforme en quelque chose d’autre qui nous ressemble. On peut prendre ce principe, le dissocier complètement du rap, et l’appliquer à la techno ou même pas forcément à un genre en particulier. Dans cette matrice, il y a aussi l’idée de voir des ponts entre les styles que les autres ne voient pas forcément. On disait à l’époque, dans mon entourage « Toxic de Britney Spears, et Aphex Twin, c’est la même musique ». C’était compliqué à comprendre pour certains mais limpide pour nous. Aujourd’hui les gens voient mieux là où on voulait en venir.
Et à l’autre bout du spectre les derniers courants pour lesquels tu as développé un intérêt ? Ou à l’inverse qui te laissent complètement indifférent ?
T.L – Ces dernières années, je me suis replongé dans la hard house américaine de la fin des 90s. Un style créé par DJ Trajic et le label Underground Construction à Chicago puis arrivé à Los Angeles via la communauté mexicaine jusqu’à exploser dans les House Parties de L.A. à travers des artistes comme Mark V et Poogie Bear. On en retrouve un peu plus tard l’essence dans la raptor house du Vénézuélien DJ Babatr, que j’adore également. À part ça, je découvre et redécouvre avec passion l’univers de la comédie musicale américaine ces temps-ci, de La Mélodie du Bonheur au Magicien D’Oz, de La Petite Boutique des Horreurs à Avenue Q, de Shrek (La Comédie Musicale) à La Revanche D’une Blonde (La Comédie Musicale). Les choses qui me laissent indifférent je les oublie instantanément donc c’est dur d’en citer. Le nouvel album de Skrillex peut-être.
J’ai l’impression que ça a longtemps été compliqué pour toi de défendre d’un côté ton approche, ta culture et ta vision personnelle du deejaying… et de l’autre te sentir reconnu à ta juste valeur dans les circuits techno. Ça a évolué aujourd’hui ?
T.L – J’ai le sentiment d’avoir progressé sur ce sujet, déjà en étant plus en paix avec moi-même, mais aussi en allant au bout de ce que je voulais, c’est-à-dire aller consciemment à la rencontre du public techno. Par exemple en jouant en back to back avec le DJ très techno Koboyo que j’adore, ou à certaines fêtes comme les fêtes RAW à Paris ou un club comme RSO à Berlin. Aujourd’hui j’ai un peu mieux compris ce qui faisait tiquer ce public. C’est une autre façon de mixer en prenant son temps, en jouant sur la similarité entre les morceaux pour essayer de placer le public dans ce fameux « tunnel » sonore métaphorique dont il est souvent question. J’aime m’amuser avec ça et je vois ça comme une autre corde à mon arc. Il faut maîtriser plusieurs techniques de cuisine parfois contradictoires pour devenir un bon cuisinier.
Tu peux me dire quelques mots de ton projet avec Sylvere, SUBMECHANOPHOB1A ? C’est quoi l’esprit ?
T.L – SUBMECHANOPHOB1A pour le coup, c’est un projet techno fait par deux semi-outsiders de la techno, à savoir Sylvere et moi. On essaye de faire des morceaux qu’on pourrait jouer dans nos sets techno et qui pourraient peut-être faire le lien entre notre côté club music et notre côté techno, avec une atmosphère subaquatique, plus deep, métallique et en même temps bourrée de percussions comme on aime. Sylvere est connu par certains pour être le gars qui joue du dancehall, de la UK funky et du jersey club aux soirées de la Créole, mais il a aussi un côté complètement différent, plus berlinois technoïde, reflété par sa signature sur Monkeytown, le label de Modeselektor. Malgré le fantasme techno qui sert de moteur au projet, forcément ça ne va pas sonner comme un projet techno lambda et c’est ce qui nous intéresse là-dedans. Au final les morceaux sont joués par des gens comme Laurent Garnier, Anetha, Lacchesi, et Jennifer Cardini a sorti notre premier EP sur son label Dischi, je suis assez content de l’accueil dans les sphères techno.
En parlant de collaboration, tu avais sorti une incroyable mixtape autour des musiques de jeux vidéo avec Nick Dwyer il y a quelques années. Tu as d’autres projets dans ce genre, que ce soit sur le versant mixtape ou le versant musique de jeux vidéo ?
T.L – Le projet a un peu été coupé dans son élan par la crise du Covid mais on correspond en permanence par mail et par téléphone avec Nick, qui habite au Japon. J’aimerais trop donner une suite à cette aventure. On va voir, il y a souvent des opportunités qui finissent pour l’instant par ne rien donner. Mais peu importe, la mixtape qu’on a réussi à faire exister est intemporelle et on en est tous les deux si fiers. Je pense qu’elle a eu un certain impact dans le monde de la musique de jeux vidéo, c’était un rare exemple de rencontre entre la musique vidéoludique et celle des clubs.
De manière plus large, qu’est-ce que tu prépares pour 2025 ? Et qu’est-ce qui t’attend ?
T.L – Plus de DJ sets, plus de collaborations, des b2b avec DJ Babatr, le Belge Lefto, l’Anglais Neffa-T, sont dans les tuyaux. Peut-être à nouveau une envie d’écrire, cette fois-ci pour d’autres gens que moi, comme je l’avais fait avec Chilly Gonzales sur son album French Kiss. Certainement aussi une suite à l’aventure SUBMECHANOPHOB1A, ainsi qu’un gros (trop gros ?) projet qui me dépasse complètement et dont j’espère pouvoir parler publiquement après l’été.
Photo ©Lucie Hugary