/ Par Hugo Verit
Depuis le 7 décembre, le Musée dauphinois accueille une exposition qui met en lumière la richesse culturelle du pays Bassari, territoire situé au sud-est du Sénégal et au nord de la Guinée. Une grande et belle expo dont on a souhaité connaître quelques secrets de fabrication, notamment scénographiques. Comment rendre accessible au grand public toute une collection d’objets si éloignés de notre civilisation ?
Eléments de réponse.
L’impressionnant rideau de perles ornant l’entrée était déjà installé, les structures destinées à accueillir les œuvres également, quelques textes muraux aussi, et c’était à peu près tout. Le 22 octobre dernier, nous avions la chance de découvrir un Musée dauphinois en chantier, un mois et demi avant l’ouverture de l’exposition Pays Bassari : des vitrines pimpantes mais encore vides, de multiples façades rétroéclairées où seront affichées de larges photographies, ici un escabeau, là quelques outils esseulés, et un prégnante odeur de peinture fraîche…
« Attention où vous mettez les pieds, il y a des choses qui traînent », lance Amélie Thomas, chargée d’action culturelle. Elle s’adresse à nous, ainsi qu’à la trentaine d’étudiants invités à pénétrer dans les coulisses du musée ce jour-là. Pour nous accompagner au cours de cette visite insolite, Héloïse Thizy-Fayolle, scénographe d’exposition (oui, c’est un métier à part entière) et Corinne Tourrasse, graphiste. Ça tombe bien, on a plein de questions à leur poser, car cela fait très longtemps qu’on se demande comment se conçoit une exposition d’envergure, comment elle se pense, et surtout pourquoi, pourquoi sommes-nous émus, happés, comme enveloppés par ce type de parcours où rien, bien sûr, n’est laissé au hasard.
ALIGNEMENT DES PLANÈTES
Mais ne brûlons pas les étapes, et reprenons depuis le début. Car pour commencer, il faut un sujet. D’ailleurs, c’est quoi un bon sujet d’expo ? « C’est celui qui a un sens par rapport aux enjeux contemporains, qui répond à une attente exprimée par la société », explique Olivier Cogne, directeur du Musée dauphinois. Dans le cas spécifique de Pays Bassari, c’est aussi un alignement de planètes. Cela s’inscrit tout d’abord dans le cadre d’une coopération entre l’Isère et le département de Kédougou, au Sénégal, où se situe une grosse partie du pays Bassari : « Je suis allé là-bas il y a 4 ans, et j’ai senti un intérêt pour cette exposition de la part des populations locales, mais aussi des musées nationaux sénégalais. » Si l’on ajoute à cela le feu vert du Quai Branly en ce qui concerne le prêt de certaines pièces, le sujet s’impose comme une évidence…
« Quand un objet était particulièrement sacré
pour eux, on a renoncé à le présenter. »
Un beau sujet, qui pose de bonnes questions – comment une culture séculaire se frotte au monde contemporain – mais un sujet risqué. Il suffit de voir le film de Resnais et Marker, Les Statues meurent aussi, pour saisir le rapport problématique qu’ont pu entretenir les musées occidentaux avec la culture et l’art africains – une vision souvent paternaliste, polluée par nos projections d’homme blanc, sur des objets que nous n’étions pas en mesure de comprendre. « Pendant longtemps, les conservateurs de musée considéraient que leur savoir académique suffisait pour raconter un sujet. Nous, on tient à travailler avec les premiers concernés, ici les habitants du territoire Bassari. Et on essaie d’être au plus près des réalités culturelles. Pare exemple, quand un objet était particulièrement sacré pour eux, on a renoncé à le présenter. » Justement, voilà l’étape suivante : choisir ce qui va être exposé. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le critère principal n’est pas esthétique. « C’est avant tout l’usage de l’objet, sa valeur documentaire, qui nous intéresse. Il est là pour apporter la preuve de ce que l’on avance », affirme Olivier Cogne.
IMMERGER LE VISITEUR
Une fois le corpus d’œuvres constitué, et le récit global finalisé, il est temps de retrouver nos scénographe et graphiste d’expo. Leur rôle est essentiel puisqu’elles vont transformer une sorte de gros classeur hyper détaillé, fourmillant d’idées purement intellectuelles, en volumes, en formes, en couleurs… « Nous sommes là pour travailler sur l’expérience du visiteur, pour le plonger dans une ambiance en privilégiant l’immersion, détaille Héloïse Thizy-Fayolle. Cela passe par les couleurs choisies, qui sont celles qu’on a traversées lorsqu’on a visité le pays Bassari, de même pour le mobilier de l’expo, inspiré des constructions qu’on a pu voir sur place. Le matériau doit parler de lui-même, conformément à la réalité de la thématique. » Les couleurs permettent aussi au spectateur de s’y retrouver, entre les différentes salles et les différents sujets abordés. Tout est question d’équilibre entre expérience et pédagogie. « Il faut quand même qu’il y ait un effet « whaouh », notamment dans les moments forts d’une expo, à savoir l’entrée et la sortie. Quand une salle est belle, on sait que le visiteur va y rester plus longtemps. Mais en même temps, il faut savoir prendre du recul et ne pas trop en faire. Ainsi, pour Bassari, il y avait tellement de choses à montrer que j’ai opté pour un graphisme plutôt sobre », confie Corinne Tourrasse. Si l’immersion du visiteur reste, à notre époque, l’un des maîtres-mots (d’ailleurs, avez-vous remarqué que les parcours du Musée dauphinois ne comportent aucune ouverture vers l’extérieur ?), l’enjeu des scénographes est aussi d’éloigner des vieilles conceptions muséographiques, à savoir – pour le dire vite – une enfilade de vitrines un brin mortifère, comme autant de sépulcres pour œuvres et objets d’un autre temps. Concernant Pays Bassari, on parle bien d’une culture toujours vivante, et même d’une grande vitalité ! « Notre travail, c’est aussi de jongler avec les contraintes, et surtout la conservation et la sécurité des œuvres, poursuit Héloïse Thizy-Fayolle. Si l’on nous dit qu’une vitrine est nécessaire, on n’a pas le choix, il faut s’y conformer. Mais, on essaye de ne pas en mettre à chaque fois, ou de les rendre moins visibles. Par exemple, on les fait dialoguer avec des photos offrant un contexte aux objets présentés (on montre ainsi la façon dont ils sont utilisés par les habitants). Et pour les rendre vivants, cela passe également par ce qu’il y a autour : du son, de la vidéo, des images… »
DOUCEMENT SUR LE NUMÉRIQUE !
Surgit alors l’inévitable question du numérique – grand pourvoyeur d’interactions – qui semble devenir un impondérable des expositions contemporaines. « La notion de jeu est importante, il faut donner aux visiteurs la possibilité de manipuler, d’écouter, de jouer… Et pour cela, oui on peut parfois utiliser des dispositifs numériques. Non pas pour épater la galerie, mais parce que l’on juge cet outil en adéquation avec le discours que l’on porte », estime Olivier Cogne. Sur ce sujet, Héloïse Thizy-Fayolle tient à signaler quelques abus : « Souvent les musées nous demandent des dispositifs numériques, mais cela a ses limites. Dans certaines expos « tout numérique », on voit bien que les gens essayent, bidouillent un peu le dispositif, n’y comprennent rien et passent au prochain… Il faut plutôt trouver le bon équilibre entre des choses à toucher, à sentir, à regarder… Le numérique reste néanmoins un super outil pour comprendre des mécanismes un peu complexes. » Dans cette exposition, c’est presque un contre-pied qui a été pris, avec très peu de numérique mais au contraire quelques manipulations purement mécaniques. Valeur sûre et sans doute éternelle.