Mathieu Kassovitz a transformé avec brio son film politique culte de 1995 en comédie musicale très grand spectacle. Sa « Haine » nouvelle version passera par Grenoble les 18 et 19 avril.
/ Par Aurélien Martinez
Quelle drôle d’idée a eue Mathieu Kassovitz de se lancer dans l’adaptation de son film culte La Haine en comédie musicale, un genre culturel associé en France à la légèreté – ah, les fameuses opérettes, puis la litanie de productions des années 1990-2000 ! Une drôle d’idée sur le papier qui, sur scène, prend tout son sens, tant le réalisateur a parfaitement su transformer son brûlot générationnel en spectacle total sans en gommer sa portée politique.
« Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. » Il y a 30 ans, le réalisateur sort La Haine, son deuxième long-métrage après le remarqué Métisse. C’est un véritable choc. Marqué par la mort deux ans plus tôt d’un jeune de 17 ans tué à bout portant dans un commissariat parisien par un policier qui plaidera l’accident, Kassovitz livre une œuvre fiévreuse construite autour de trois mecs habitant en périphérie de Paris. Voici ce qu’ils vivent, ce qu’ils subissent, vous ne pouvez plus faire semblant de ne pas savoir, hurle le cinéaste pendant 1h30.
« La Haine n’est pas un film sur la banlieue, mais sur les bavures policières ou, plus exactement, sur la société qui autorise et suscite ces bavures. C’est pour cela que j’ai choisi ce trio, pour bien montrer que ce n’est pas les Arabes ni les Noirs contre la police, mais toute une jeunesse de banlieue qui n’en peut plus », expliquait (à Télérama) Mathieu Kassovitz en 1995. 30 ans plus tard, la France n’est plus la même, et pourtant, La Haine est toujours d’actualité. Du moins, c’est ce qu’ont dû penser toutes celles et tous ceux partis dans cette expédition aux côtés de Mathieu Kassovitz, devenu directeur artistique du projet et co-metteur en scène avec Serge Denoncourt.
« COMME STARMANIA »
« Jusqu’ici rien n’a changé », clame le sous-titre d’un spectacle qui déplore toujours la fracture béante entre la jeunesse des banlieues et les représentants de l’État, police en tête. Même si, paradoxalement, ce constat implacable apparaît quelque peu dévitalisé par la forme comédie musicale censée rassembler un maximum de gens – une aventure de la sorte coûte beaucoup et demande donc des salles pleines. Ce que Kassovitz assume, avec notamment une bande-son très vivre-ensemble (c’est d’ailleurs le titre d’un morceau) et une fin plus ouverte pour le trio Vinz, Saïd et Hubert, interprétés par trois comédiens (Alexander Ferrario, Samy Belkessa et Alivor) convaincants, comme l’étaient Vincent Cassel, Saïd Taghmaoui et Hubert Koundé.
« Je veux faire de La Haine un spectacle politique comme Hair ou Starmania », annonçait Mathieu Kassovitz en 2023 au Monde. Il a donc imaginé un show pour grandes salles (la Seine musicale près de Paris où il a été créé, le Palais des sports à Grenoble…) et s’est donné les moyens afin que le rendu soit à la hauteur. Il l’est, avec une transposition d’un récit cinématographique en récit scénique grâce à l’utilisation de nombreux codes du septième art. Comment amener sur le plateau les imposantes barres urbaines des banlieues ? En utilisant un immense mur vidéo bluffant. Comment transmettre au public l’illusion du travelling ? En installant un tapis roulant sur scène. C’est, à chaque fois, littéralement grandiose.
UNE BO DÉCLOISONNÉE
Surtout, l’équipe a astucieusement mis à jour le scénario, avec des références culturelles et politiques d’aujourd’hui, des personnages féminins plus étoffés ou encore l’ajout des technologies contemporaines, dont le téléphone portable convoqué dans la mythique séquence du miroir. Le spectacle musical a alors toutes les bases pour se développer et mettre en place aussi bien de la danse, très hip-hop (mais aussi break, krump…), que, forcément, des chansons, architecturées par le producteur Proof. Car Mathieu Kassovitz n’a pas fait le choix d’une bande-son uniforme composée par une seule plume, mais a fait appel à une multitude d’artistes actuels, allant du rap (Médine, Akhenaton, Oxmo Puccino, Youssoupha, Doria, Jyeuhair…) à d’autres univers moins attendus ici – Matthieu Chedid, Angélique Kidjo, The Blaze, Clara Luciani, Sofiane Pamart… « Et si l’on disait : vivre ensemble. Et si l’on pouvait vivre ensemble. » D’accord.