Le documentaire « L’Escalade du futur », présenté au Festival du film nature et environnement et aux Rencontres Ciné Montagne, alerte sur l’avenir des falaises les plus populaires. La pratique explose, certains sites saturent, et la nature s’en trouve parfois menacée. Grenoble, un des berceaux historiques de cette contre-culture devenue depuis mainstream, est-elle concernée ?
/ Par Jérémy Tronc
Dans la cuvette grenobloise, les falaises ne sont jamais loin et attirent toujours plus de nouveaux pratiquants. Cette popularité a un revers : sur certains spots, la cohabitation entre grimpeurs, riverains et biodiversité devient délicate. « Des sites sont saturés », constate ainsi un représentant de France Nature Environnement (FNE). Comboire symbolise cette tension : stationnements anarchiques, gêne pour les agriculteurs ou la faune. « On pourrait y aller à vélo ou en bus, mais les gens continuent majoritairement de prendre leur voiture. » Pour FNE, la surfréquentation est bien réelle, amplifiée par la diffusion des topos et l’influence des réseaux sociaux.
Du côté de la Fédération française de la montagne et de l’escalade (FFME), le ton est plus mesuré. « Ce n’est pas nouveau, on a appris à gérer cela. Globalement, l’Isère n’est pas trop concerné. La saturation des parkings n’est pas due qu’aux grimpeurs », estime François Chopard, de la FFME Isère. Il rappelle que le dialogue avec les naturalistes a beaucoup progressé : « En Isère, on est très structuré et un interlocuteur bien identifié. Avant une interdiction pure et dure, il y a de la discussion, et on arrive à désamorcer un certain nombre de problématiques. Ce qui était perçu comme des nuisances avant ne l’est plus forcément. » Pour lui, le cœur du problème dépasse la pratique : « Le vrai sujet, c’est la déconnexion de beaucoup de gens avec la nature, notamment les grimpeurs plus récents, souvent citadins, avec une approche plus consommatrice. Le bruit, la musique, les cris… Ce n’est pas représentatif du milieu, et c’est dénoncé en interne. »
Falaises partagées
La cohabitation avec le Grand-duc d’Europe, rapace revenu sur plusieurs falaises périurbaines, cristallise parfois ces tensions. « Le Grand-duc s’installe en hiver, quand ça grimpe moins, explique FNE. Il ne va pas se dire “ici, c’est équipé”. Et quand les grimpeurs reviennent au printemps, ils répondent : “Mais nous, on grimpe ici depuis vingt ans !” » L’association rappelle la règle : « Quand une espèce protégée niche, on stoppe tout à cet endroit, le temps d’adapter la pratique ou de reporter ailleurs. Et ça, c’est compliqué à faire accepter. Tout le monde est d’accord : protéger la biodiversité prime. Mais dès que cela touche aux libertés individuelles, c’est autre chose. » D’où l’intérêt, selon elle, de montrer que ce discours n’est pas porté que par « des ayatollahs de l’écologie », mais aussi par des grimpeurs reconnus.
Redéfinir la liberté dans la nature
À Grenoble, le dialogue entre grimpeurs, naturalistes et institutions fonctionne plutôt bien. FFME, FNE, LPO et collectivités se concertent régulièrement pour adapter les pratiques. Des outils comme Biodiv’Sports, développé par la LPO, renseignent sur les zones et périodes sensibles. D’autres plateformes collaboratives, comme CampToCamp, relaient les signalements pour éviter les dérives. Mais la régulation ne suffit pas. « L’information existe, elle est accessible, encore faut-il vouloir la chercher, souligne FNE. Il faut remettre l’humain à sa place, éviter de faire tout ce qu’on veut, n’importe quand, n’importe où. »
Dans L’Escalade du futur, film visible dans deux festivals grenoblois en ce mois de novembre, le grimpeur pro Cédric Lachat invite à remettre au centre des débats l’absolue liberté de l’homme dans la nature pour un moindre impact. À Grenoble, personne ne réclame d’interdiction généralisée. Le véritable enjeu, c’est d’apprendre à cohabiter pour que la falaise reste à la fois terrain d’aventure et refuge pour le vivant.
Photo © Guillaume Broust