Littérature

Raphaël Quenard : « Mon livre n’est pas noir, il est plutôt marrant ! »

/ Par Hugo Verit

On vous connaît comme acteur avant tout, comme cinéaste aussi. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer à la littérature ?

Raphaël Quenard – Au départ, c’est plus un plaisir de lecteur, j’ai tellement de plaisir à lire. Mais y a pas eu de déclic. Je note toujours des trucs dans mon ordinateur, des références, des phrases dont je me sers après pour les films ou autre. Aussi, l’écriture permet un niveau d’intimité et de liberté qui est infiniment de fois supérieur au cinéma. C’est très dur de pouvoir accéder à la possibilité de faire un film. Il y a beaucoup de barrières, financières en premier lieu. Et je pense que tous les réalisateurs peuvent en témoigner. Là, avec une feuille et un stylo, tu peux écrire un texte si t’as envie. Il n’y a pas besoin d’avoir un niveau d’éducation très poussé pour être éloquent. D’ailleurs, l’éloquence est partout. Et la simplicité, c’est parfois plus brutal et plus percutant que la sophistication. L’écriture, ça n’est que le prolongement de la parole, donc c’est vraiment l’essence de ce qui est accessible à tous.

Vous entrez en littérature avec un roman assez noir, mettant en scène un personnage étrange, plein de contradictions, profondément détestable, qui se venge de la société en tuant des femmes (à une exception près) issues de diverses classes sociales. Pourquoi ce choix ?

R.Q. – Je ne trouve pas qu’il soit noir ce livre. Pour moi il est plutôt marrant ! C’est la vérité ! Le fond de ce qui se joue est noir, mais si on prend les meurtres, qui représentent quinze lignes par chapitre, tout mis bout à bout ça fait trois pages ! C’est plus un livre qui raconte les classes sociales, les personnages qui nous inspirent, les magiciens du quotidien. C’est l’occasion d’aller s’y frotter. Tuer certains personnages, c’est un moyen de vadrouiller, de continuer le voyage inter-classes sociales. Mais le cœur du livre, pour moi, ne se situe pas dans les meurtres. Ce sont des réflexions, des théories, des digressions…

Nous sommes d’accord, mais certains ne le voient pas comme cela et vous adressent pas mal de critiques. On vous accuse limite d’avoir les mêmes défauts que votre personnage. Qu’y répondez-vous ?

R.Q. – Je le redis : je ne suis pas l’avocat de ce personnage. Car beaucoup de gens font la confusion et me prennent à parti. Mais ça veut dire que Jean-Christophe Grangé, il n’a pas le droit d’écrire Les Rivières Pourpres, Hubert Selby, il n’a pas le droit d’écrire Le Démon ? Mon personnage est problématique, pathétiquement sombre, noir et provocant. Il tue des femmes certes, mais l’extrême majorité des tueurs en série s’en prennent à des femmes. Et justement, c’est un grand lâche !

Oui, il n’assume rien du tout…

R.Q. – Il n’assume rien et il ne sait pas quoi penser. Mais encore une fois, quand je dis ça, je reprécise que je n’excuse pas le personnage ! Je le décris comme quelqu’un d’autre pourrait décrire le Joker. Et le Joker, malheureusement, certaines personnes le trouvent fascinant. On a le droit de présenter ces personnages, et c’est même en abordant ces problématiques brûlantes, en explorant ces caractéristiques horribles qu’on peut aussi les dénoncer. Les parties problématiques que mon narrateur offre en pâture – puisqu’il se livre à cœur ouvert – elles sont plus de nature à créer une réaction cathartique qu’à donner un manuel à suivre aux quelques dérangés qui le prendraient comme tel.

Ce qui est peut-être le plus dérangeant d’ailleurs, c’est que votre narrateur nous apparaît parfois sympathique, comme lorsqu’il vilipende certaines hypocrisies bourgeoises…

R.Q. – Ça c’est vous qui le dites ! Pour certains, il sera dérangeant à d’autres endroits… Mais oui, dans ses réflexions, dans les interstices de sa noirceur, il peut être parfois drôle, parfois philosophique, parfois décontenançant, parce que dans les entrailles du mal absolu, il y a aussi des micro-éclaircies de lumière dérangeante.

En parlant de lumière, il est régulièrement question de Dieu dans votre livre. Votre personnage assiste à une messe avec une certaine passion. Vous êtes croyant ?

R.Q. – Je suis croyant pas pratiquant. Dans la religion, ce que j’aime bien, c’est l’apaisement et le détachement que ça peut offrir, et auxquels il est dur de se livrer parce qu’on sait tous qu’on est constamment rattrapés par de basses considérations matérielles et physiologiques. Ce qui m’intéresse également, c’est la recherche d’absolu, de grâce.

Outre votre narrateur, l’un des personnages les plus importants du roman s’appelle Warda. Elle est SDF et se livre à de grandes tirades sur la société. Quelle a été votre inspiration ?

R.Q. – C’est une personne qui existe vraiment. Aussi, j’ai toujours été fasciné par les auteurs – comme Shakespeare, Molière , Tchekhov – qui font de chaque personnage un philosophe, quelqu’un qui a des fulgurances notoires, sans considération du milieu d’origine ou d’évolution. Ce personnage, je l’adore dans ce sens-là. Les théories qu’elle tient, même si elles sont tenues avec beaucoup d’artifices qui pourraient la décrédibiliser (le whisky, la drogue, la déchéance…), elles sont parfaitement sensées et intelligentes.

Comme lorsqu’elle transforme le proverbe « le temps, c’est de l’argent » en affirmant que l’inverse serait plus juste : « l’argent c’est du temps ». Ce qui fait dire à votre narrateur qu’il n’y aurait que deux options dans l’existence : être un esclave ou un pirate. Vous avez choisi votre camp ?

R.Q. – Dans la vie, pour moi, rien n’a de sens et pas grand-chose n’a d’importance, car tout est constamment remis en question. À chaque nouvelle que j’apprends, je tombe de 48 étages. Ce non-sens invite à une forme de détachement que je rattache à la piraterie, parce que ce détachement exclut toute forme de peur et d’appréhension qui peuvent nous paralyser, tout comme les pensées limitantes qu’on assène sur nous en permanence et qui ne font que réfréner notre intuition première, à savoir tenter des choses. On a des petites envies au fond de nous qui vivotent, et qu’on se tue à éteindre en permanence. Ne pas les éteindre, je rattache ça à une forme de « piraterie ». Donc je serais plutôt de ce côté-là.

Il y a aussi des allusions régulières au métier d’acteur dans votre livre (ce qui n’est pas étonnant). Votre meurtrier s’amuse à penser qu’il est un très bon acteur. Et pour cause, un meurtrier, n’est-ce pas quelqu’un qui joue constamment la comédie ?

R.Q. – (Rires) Nous les acteurs, on essaye souvent maladroitement de faire quelque chose devant une caméra, sensibles à la pression qu’instaure la façon de capter les images, et on ne le fait pas forcément de façon satisfaisante. Si jamais tu y prêtes attention, tu n’es pas toujours convaincu par le degré de justesse des acteurs. Les vrais acteurs, ils ne sont pas acteurs. Les vrais acteurs, ils sont politiciens, commerciaux, vendeurs, esbroufeurs en tout genre, ils sont journalistes, notaires, avocats… Tu vois ce que je veux dire ? Des vrais acteurs qui font du vrai sans filet. Un avocat, quand il commence sa plaidoirie, il ne dit pas : « Attends deux secondes, excuse-moi j’ai fourché, je vais recommencer. » Donc au bout du raisonnement, les acteurs, c’est peut-être les plus mauvais, puisqu’ils ont le droit de se reprendre.

Ce serait peut-être cela le fond du bouquin alors : présenter une société que vous trouvez dérangée mais qui essaie de le cacher ?

R.Q. – Franchement, je ne me suis pas projeté à cet endroit-là. Mon intention première, c’était de raconter l’histoire de ce gars, mais sans conscientiser les répercussions que ça allait avoir sur d’éventuels lecteurs. J’étais tout seul face à mon ordi, je faisais ça dans mon petit coin tranquille et je ne conscientisais pas la position du lecteur. Je vous jure, ce n’est qu’à la fin que j’en ai pris conscience. Au départ, tu ne sais même pas pourquoi tu le fais mais visiblement tu dois le faire, avec l’énergie de la nécessité. Ce livre, j’ai commencé à l’écrire il y a peut-être 6 ou 7 ans. Le parcours est long, c’est la besogne, c’est laborieux. Tu vois ce que je veux dire ? Et tant mieux, je ne me plains pas ! Et visiblement, c’est que ça doit être nécessaire pour moi puisque je suis allé au bout. Mais trouver les raisons de cette nécessité ? C’est juste que j’ai besoin de m’exprimer, c’est plus fort que moi.

Vous avez grandi à Grenoble et vous évoquez à divers endroits du livre votre région natale. Mais ici, c’est surtout pour parler des endroits de prostitution ou d’une rando (en l’occurrence le Saint-Eynard) idéale pour supprimer quelqu’un… Que pensez-vous de Grenoble, en vrai ?

R.Q. – (Rires) En effet, je n’ai pas raconté les agréments de cette ville dont je suis follement amoureux. J’y ai passé les vingt premières années de ma vie et pour rien au monde j’aurais voulu les passer ailleurs. Je suis un amoureux de Grenoble, j’y ai tous mes amis, ma famille…

Qu’est-ce que vous aimez à Grenoble ?

R.Q. – Tout ! C’est comme si je vous dis : « Qu’est-ce que vous aimez dans votre lit ? » C’est la couette, c’est le moelleux des coussins, l’odeur et la texture du drap. J’aime Grenoble comme j’aime retrouver mon lit le soir.

Un dernier mot sur le film I love Peru, un documentaire autobiographique que vous coréalisez avec Hugo David et que vous viendrez d’ailleurs présenter au Club le 6 juin à 21h ?

R.Q. – C’est un film d’aventure au Pérou qui rassemble tout ce qu’on aime avec Hugo David. De l’authenticité, de la poésie, de la drôlerie, une pincée de transgression, de la nostalgie, de la philosophie… On l’a fait en trois ans à l’appareil photo, on a eu mille et une difficultés, aucune autorisation, rien. On a ramené tout ce qu’on pouvait ramener avec un appareil photo, deux gars, et l’amour du cinéma. C’est un hymne à la solitude, un voyage, une ode à l’amitié.

Photo Pascal Ito © Éditions Flammarion

RAPHAEL QUENARD

Vendredi 6 juin à 19h

Librairie Le Square (Grenoble)

Gratuit

I LOVE PERU

Vendredi 6 juin à 21h

Cinéma Le Club (Grenoble)

De 5€ à 8,60€

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