Première grande exposition concoctée par Étienne Hervy, le nouveau directeur du Tracé, « S’print » propose un accrochage foisonnant où les images et les mots font équipe et se renvoient la balle. Une belle occasion pour nous d’endosser le rôle de commentateur sportif.
/ Par Benjamin Bardinet
Ça démarre en douceur avec une petite révision de l’histoire des Jeux olympiques que le collectif français Grapus nous propose en guise d’échauffement. Accrochées chronologiquement, onze affiches valorisent les événements marquants de chacun de ces Jeux tout en situant brièvement le contexte géopolitique mondial. Autant sportifs, politiques que symboliques, les événements évoqués racontent une certaine histoire de nos sociétés (place des femmes, représentation des minorités, discriminations…). C’est didactique, c’est drôle, ça a de la gueule, ça date du début des années 1980 et pourtant c’est pleinement d’actualité…, bref c’est du très bon Grapus !
On enchaîne ensuite avec deux grands murs pour lesquels le commissaire d’exposition assume pleinement son rôle d’entraîneur. Il envisage les propositions graphiques comme autant de joueurs avec lesquels il doit constituer la meilleure équipe qui soit : les œuvres se répondent, s’épaulent, se valorisent. La jeune fille représentée sur une affiche pour le Théâtre des 13 vents tire à l’arc en direction d’une cible qui se trouve sur le poster hallucinant du film Drowning by Numbers de Peter Greenaway, tandis que sur le mur adjacent, la trajectoire de la balle shootée par Patrick Dewaere (gentiment caricaturé par Ferracci pour le film Coup de tête) est prolongée par celle du ballon tracé par Alechinsky (pour une affiche de la Coupe du monde de football de 1982) et semble atterrir sur le terrain vide de l’œuvre réalisée par le duo de graphiste M/M pour le documentaire arty consacré à Zidane (qui propose de suivre un match en focalisant toutes les caméras sur Zinédine). S’autorisant à faire fricoter la gaudriole avec le top de la branchitude, Étienne Hervy questionne les notions de bon goût, de hiérarchie esthétique et remporte la première mi-temps.
La ligne et le poing
Le sport et le graphisme partagent en commun un élément de vocabulaire : la ligne. Et si sur le terrain de sport, celle-ci pose la question de la règle, sur la page ou l’écran du graphiste elle induit l’idée de la grille. Une grille dont les bien nommés Norm, fervents défenseurs helvétiques de la rigueur et de la contrainte, s’emparent pour interroger la notion de format. En témoignent deux affiches minimales sur lesquelles sont reproduits à l’échelle 1 le tracé d’un terrain de foot et celui d’une table de ping-pong – soit le plus grand et le plus petit terrain des jeux de balle.
Après cette mi-temps le nez sur les lignes, la dernière salle relance le match. On bascule alors dans un univers fait de réalisations en noir et blanc dans lesquelles le corps est à l’œuvre. Pour cela notre entraîneur/commissaire d’exposition s’autorise à faire entrer sur le terrain quelques propositions artistiques. On retiendra tout particulièrement le geste de Jocelyn Cottencin qui supprime « l’objet du désir » (le ballon) sur des photographies sportives. Subitement étranges, ces images chorégraphiques attirent notre regard sur l’énergie déployée par ces corps en tension. Détournement également avec l’audacieuse affiche de saison du Schauspielhaus de Zürich réalisée par Cornel Windlin qui propose un recadrage serré sur le visage d’un boxeur intensément saisi par une main qui surgit hors champ. Une affiche qui clôture le parcours comme un écho à Arthur Cravan, boxeur dadaïste dont le portrait par Frédéric Teschner ouvre l’exposition. Une belle manière de boucler la boucle – surtout dans une exposition pour laquelle le commissaire nous a annoncé d’emblée qu’il souhaitait qu’il n’y ait ni début, ni fin…
Photo ©Léa Garnier