Ces quatre balades vous invitent à explorer les paysages où Hippolyte Müller, ethnographe autodidacte et fondateur du Musée dauphinois, a mené ses recherches. Grottes, abris sous roche et proéminences rocheuses racontent encore l’histoire des peuplades ancestrales qu’il a étudiée. Suivez les pas de Müller et des premiers Alpins…
/ Par Jérémy Tronc
La grotte des Sarrasins
En contemplant la grotte des Sarrasins et ses parages, on mesure pourquoi des tribus y ont élu domicile durant une longue période. Et c’est la Tour-sans-Venin qui offre sans conteste le meilleur point de vue sur le site. Le regard plonge vers l’ouest sur un large porche de 200 mètres donnant sur une prairie où paissent chevaux et moutons, comme un écho aux troupeaux d’hier. On imagine sans peine la vie des peuplades qui occupaient ces lieux.
Ce site a accueilli les premiers habitants de Seyssinet et est aujourd’hui reconnu comme le plus bel exemple d’habitat continu du Néolithique récent au Gallo-Romain dans les Alpes du Nord. Des fouilles menées dès 1889 par Hippolyte Müller (lire ci-contre), puis relancées en 1965 par Aimé Bocquet, ont révélé céramiques, silex taillés, parures, vases décorés ou ossements humains.
On peut rejoindre la Tour-sans-Venin à pied depuis le parc Karl-Marx ou La Poya, à Fontaine, en suivant les sentiers balisés qui grimpent à travers les sous-bois ponctués de prairies panoramiques. L’accès peut aussi être raccourci en rejoignant les parkings bordant la route de Seyssinet à Saint-Nizier. Les itinéraires jusqu’à la Tour sont globalement très bien balisés et offrent souvent de jolis points de vue sur Belledonne et la Chartreuse.
L’oppidum du rocher de Grand Rochefort
Visibles depuis l’A51, juste après Le Pont-de-Claix en direction du sud, les rochers de Rochefort dessinent deux éminences qui dominent la vallée du Drac. Ils occupent une position stratégique de tout premier ordre entre la vallée de l’Isère et le Midi. C’est à la fois pour cet emplacement privilégié et pour leurs défenses naturelles – typiques des oppidums – que les Hommes s’y sont installés pendant des siècles, au moins sur le rocher nord.
Hippolyte Müller y mena une vaste campagne de fouilles entre 1904 et 1913, déblayant quelque 250 m³ de sédiments. Il mit au jour des objets et du mobilier témoignant de millénaires d’occupation, du Néolithique au haut Moyen Âge, révélant les multiples usages du lieu : funéraires, cultuels, balnéaires, métallurgiques ou défensifs. C’est un site majeur de notre histoire locale.
La plateforme sommitale du Grand Rochefort est facilement accessible depuis Le Pont-de-Claix. Une boucle permet d’y monter par le nord et de redescendre par le sud. Les panoramas sont superbes, mais il ne reste aujourd’hui rien de visible du foisonnement de vestiges mis au jour autrefois. La visite pourra sembler décevante pour qui espère des ruines ou des murs, mais le lieu, chargé d’histoire, continue de stimuler l’imagination.
Le Rocher Saint-Loup
Le rocher Saint-Loup domine la crête de la montagne d’Uriol. Bien visible depuis Varces ou Vif, ce promontoire naturel, protégé par ses escarpements, offrait un site idéal pour une occupation humaine cherchant à tirer parti de ces défenses naturelles.
En 1904, Hippolyte Müller y pratiqua divers sondages. Il découvrit un fond de cabane circulaire néolithique unique. Large de deux mètres et profond de 1,20 m, il contenait cendres, restes alimentaires, outils et céramiques, dont plusieurs vases presque intacts conservés aujourd’hui au Musée dauphinois. Mentionné dès 1908 par le grand préhistorien Joseph Déchelette, ce site intrigue toujours les chercheurs : son architecture et sa céramique ne trouvent d’équivalent que dans la plaine du Pô, au Ve millénaire av. J.-C., attestant de liens anciens à travers les Alpes.
Bien que l’accès direct au rocher soit privatisé, deux sentiers offrant de jolis points de vue permettent de s’en approcher : l’un depuis Saint-Paul-de-Varces, l’autre depuis Vif. Ces itinéraires se rejoignent au sommet de la crête d’Uriol. L’occasion idéale d’envisager une boucle de randonnée. Pour cela, il faudra s’appuyer sur le réseau de transports en commun de la métropole grenobloise : lignes C14 puis 46 pour Saint-Paul-de-Varces, train ou ligne C14 pour Vif.
Les grottes de La Buisse
Entre Voreppe et La Buisse, de nombreuses grottes creusées naturellement dans le calcaire ont abrité des communautés humaines du Néolithique jusqu’à l’époque gallo-romaine. Des fouilles y ont été menées par plusieurs chercheurs, dont l’incontournable Hippolyte Müller. Parmi ces cavités, une grotte mérite une attention particulière : celle de Fontabert. On y retrouva une cinquantaine de corps accompagnés de lames de silex, de rondelles de trépanation… et d’un mystérieux croissant de jade (visible au Musée dauphinois). Objet exceptionnel, probablement unique, taillé dans une jadéite d’une dureté extrême, il semble bien trop sophistiqué pour avoir été façonné localement. On suppose qu’il aurait pu provenir de l’île de Sumatra et avoir été égaré par des marchands phéniciens !
Pour parcourir les lieux, rejoignez le hameau du Bourget au nord de Voreppe. Un sentier bien raide grimpe jusqu’au belvédère des Maquisards. En chemin, on traverse un paysage étrange, presque irréel : des arbres calcinés (par l’incendie d’août 2022) dressent leurs branches malingres et charbonneuses vers le ciel azur, s’élevant d’un sol tapissé de grappes de saponaires violettes et de coronilles jaunes. Un contraste saisissant. On peut aussi envisager un circuit plus sportif vers le col de la Tençon, ponctué de prairies fleuries et de superbes panoramas.
L’orfèvre des origines
Né à Gap en 1865, Hippolyte Müller grandit à Grenoble, où il devient apprenti bijoutier à 14 ans. Mais son cœur bat déjà pour la Préhistoire. À 17 ans, il découvre seul le site néolithique des Balmes de Fontaine dans le Vercors, qu’il fouille avec méthode, avant de décrocher un poste au Muséum d’histoire naturelle de Grenoble. Membre de la Société dauphinoise d’ethnologie en 1894, il publie ses recherches et milite pour une ethnographie alpine ancrée dans la rigueur scientifique. Ses lectures, ses fouilles et ses expérimentations font de lui un préhistorien respecté, invité aux congrès scientifiques, malgré l’absence de diplômes. En 1904, il organise une exposition d’objets archéologiques et ethnographiques à Grenoble et devient en 1906 le premier conservateur du Musée dauphinois. Son travail fait de lui l’un des grands spécialistes de l’archéologie préhistorique de son époque. Ses travaux novateurs en archéologie expérimentale (taille du silex, métallurgie du bronze…) lui valent d’enseigner à l’université de Grenoble jusqu’en 1932. À sa mort, il laisse 20 000 objets collectés, des milliers de photos et un roman inachevé mettant en scène un naufragé utilisant des techniques préhistoriques pour survivre !
Photo ©Jérémy Tronc