Faire du bruit, en ce moment, c’est un peu la BO de notre quotidien grenoblois. Faire du son, et accessoirement le faire bien, ce sera tout le propos du concert de Winter Family et Ventre de Biche, pendant lequel se feront écho synthétiseurs, errances électriques et déclamations fortes. Une manière, finale ment, de revenir aux fondamentaux. / Par Claire Secco
Une soirée double face, comme la volonté peut-être de laisser une certaine urgence actuelle s’exprimer et
nous emporter. Voilà ce que nous propose le Ciel en accueillant Winter Family et Ventre de Biche dans son antre aux fauteuils rouges. Commençons par une brève présentation de ces musiciens quelque peu confidentiels mais, sans nul doute, très efficaces.
Winter Family, c’est un duo sur la scène, comme dans la vie ; un duo franco-israélien dans lequel se construisent culture commune, revendications, et les constats parfois glaçants d’un contexte actuel vertigineux, assombri d’injonctions contradictoires.
MUSIQUE CONCRÈTE
Leur quatrième album, On Beautiful Days (2024, Murailles Music, Sub Rosa, Hublotone) est à leur image : hypnotique et minimal. On y entend les froideurs du quotidien : respirations, distorsions, bruits de bottes, beats joués sur un Iphone, comme si l’écrivain Raymond Carver s’était donné pour mission de dépeindre l’intimité de cette société fragmentée. Ce serait sans toutefois en oublier les détails célestes, grâce au jeu d’orgues et d’harmonium de Xavier Klaine et à la voix presque fantoma tique de Ruth Rosenthal.
Leur musique se veut cinématographique, presque documentaire. Le chant, en hébreu ou en anglais, nous interpelle directement et nous fait volontiers penser aux litanies de Tarwater ou Mary Ocher. Plusieurs lectures donc, pour cet album incandescent : d’un regard critique sur l’Europe et la société israélienne, à celui glacial et sans concession posé sur l’intimité d’un couple, duquel les protagonistes se détachent lentement. Une mention toute spéciale pour le titre Nine Million Witches qui oscille merveilleusement entre revendication et esthétiques chamaniques, d’une finesse incroyable.
BO DES DIMANCHES PLUVIEUX
Dans un registre plus effronté mais tout aussi captivant, Ventre de Biche ouvrira les hostilités. Personnage haut en couleur et bien connu de la scène underground française, c’est avec synthétiseurs et boîtes à rythmes faussement naïfs que le doux ménestrel captera toute notre attention. Si ses premiers albums nous faisaient penser à quelques Noir Boy George ou Maria Violenza (et à juste titre : tous s’accoquinant au sein de la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est, collectif artistique né au début des années 2000), les mélodies de Vaniel, dernier album paru en 2023 sur Teenage Menopause, prennent volontiers un tournant de comptines au rap insolent, comme pour illuminer nos longs, très longs, dimanches sous la pluie. La plume est tranchante, le verbe acéré, et comme l’écrivaient très justement nos confrères de Gonzai : « […] de ce paysage, Ventre de Biche est aussi bien le protagoniste que l’architecte, prêt à s’engager un cran plus loin dans son voyage au bout de l’ennui avec un nouvel album plus solide et chirurgical que jamais, présenté par son équipe comme une « joyeuse tranche de vie, de merde » ». Plutôt parlant, n’est-ce pas ?
photo©Henrike Stahl