Archéologie

Archéologie préventive : sous les pavés, l'histoire

/ Par Hugo Verit

On n’y pense jamais, mais lorsque nous arpentons nos rues au quotidien, nous marchons potentiellement au-dessus de vestiges d’une époque lointaine, « survolons » sans le savoir des trésors archéologiques bien enfouis sous des couches de sédiments. Par un phénomène tout naturel de colluvionnement et d’érosion des montagnes, nos plaines s’exhaussent progressivement au fil des siècles. Et de fait, nos civilisations démolissent et reconstruisent leurs cités les unes par-dessus les autres. La frise chronologique ne serait donc pas seulement horizontale, mais aussi verticale : nous évoluons littéralement à la surface de notre histoire.

Si nous autres profanes redécouvrons cette évidence, les archéologues en ont fait leur matière. Et loin, bien loin des images d’Épinal de ce métier, véhiculées notamment par la pop culture, l’archéologie ne se pratique pas uniquement dans de vastes étendues sableuses au bout du monde, mais au jour le jour, à deux pas de chez nous, dans les villes, les campagnes… Car les vestiges de nos civilisations antérieures se trouvent potentiellement partout.

C’est tout l’objet de l’archéologie préventive, méconnue du grand public et pourtant bien concrète : « C’est une manière d’intervenir sur des vestiges en amont de projets d’aménagement qui risquent de les détruire, nous explique Nicolas Minvielle-Larousse, responsable de recherche à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Cela est venu remplacer dans les années 80 ce qu’on appelait jusqu’alors l’archéologie de sauvetage qui intervenait au moment où les chantiers étaient en cours et où on essayait tant bien que mal de sauver ce qui pouvait l’être. » Ainsi, afin d’éviter que les nouveaux aménagements endommagent de possibles découvertes importantes, les permis de construire sont envoyés à la Direction régionale des affaires culturelles où des spécialistes vont évaluer le potentiel archéologique des lieux concernés. S’il apparaît pertinent de procéder à une vérification, l’Inrap est alors missionné. C’est justement le cas pour le futur musée d’Histoire de Vienne (lire ci-contre) où des opérations viennent de démarrer. Vienne, cité romaine fondée en 63 avant notre ère, capitale des Allobroges, siège d’un évêché au Moyen Âge… Voilà ce qu’on appelle du potentiel ! « Nous devrions trouver des objets médiévaux et notamment des sépultures d’un ancien cimetière », précisait Philippe Julhes, directeur régional de l’Inrap, à nos confrères de L’Essor le 20 mai dernier.

Mais alors, une fois sur place, en quoi consiste concrètement leur travail ? « D’abord, il y a une première phase de diagnostic, qui correspond à une évaluation réduite. On va ouvrir 10 % de la surface concernée par les aménagements pour voir s’il y a des vestiges, à quelle profondeur ils se trouvent, leur état de conservation, l’époque à laquelle ils appartiennent… Ensuite, en fonction des résultats, le service régional de l’archéologie décide de prescrire ou non une fouille. Et là, démarre éventuellement une fouille exhaustive des lieux impactés », détaille Nicolas Minvielle-Larousse. Mais ces opérations demeurent plutôt rares : seuls 6 % des projets d’aménagement font l’objet d’un diagnostic et 1 % donnent lieu à de véritables fouilles.

Découvertes à l’Esplanade

À Grenoble, ce fut le cas tout récemment : entre septembre et novembre 2024, l’Esplanade (qui doit bientôt être réhabilitée par la Ville) fut le théâtre de fouilles approfondies sur 1300 m2. « On n’avait jamais exploré de ce côté-là. Or, on savait que c’était un espace occupé depuis, au moins, le XVIIe siècle. » Bonne pioche, puisque ces recherches ont permis de mettre au jour des vestiges remarquables : notamment un édifice quadrangulaire et plusieurs sépultures datées du XVIe/XVIIe siècle. « Ces sépultures sont assez atypiques, si l’on considère les modes d’inhumation normaux. Il y a des sépultures doubles, triples et même des fosses avec plusieurs individus (7 au maximum) à l’intérieur. Maintenant, on doit essayer de résoudre la fonction de cet édifice : est-ce une chapelle catholique, un édifice protestant, une maladrerie (bâtiment construit à l’écart des villes pour réunir les contagieux) ? On se demande aussi si cela ne traduit pas la présence d’un gibet… » Toutes ces hypothèses sont encore à l’étude.

Comprendre les crises du passé

Car la fonction de l’archéologie préventive n’est pas de conserver les vestiges (qui seront de toute façon – sauf cas vraiment exceptionnels – détruits pas le nouvel aménagement) mais bien de les documenter afin de mieux comprendre les modes de vie de nos ancêtres. En nos temps troublés, où les crises à résoudre semblent de plus en plus nombreuses et complexes, ces études scientifiques peuvent nous donner de belles pistes de réflexion. L’histoire, un éternel recommencement ? Le poncif a sa part de vérité.

Ce n’est pas la première fois, par exemple, que nous traversons une crise énergétique. Nos cousins du XIVe siècle en ont fait l’expérience : « C’était un moment de plafond entre les besoins des sociétés et les ressources disponibles. On était sur un monde plein avec des villes en plein essor, des campagnes peuplées, l’ensemble des terres disponibles mises en culture et la démographie continuait à augmenter. Il y avait notamment des tensions considérables sur les forêts qui n’étaient pas suffisantes pour répondre à la demande. À cette époque, on observe aussi une transition énergétique avec l’utilisation de plus en plus importante du charbon de terre plutôt que du charbon de bois… Tout cela a généré des tensions sociales, des gagnants, des perdants… Donc la réponse de ces sociétés médiévales à cette crise peut nous donner des enseignements pour les crises que l’on vit aujourd’hui. »

L’archéologie menacée ?

Pourtant, certains politiques semblent ignorer ces applications cruciales pour nos sociétés. Le 20 mars dernier, des députés du groupe parlementaire « Horizons et indépendants » ont déposé un amendement à la « Loi sur la simplification de la vie économique » prévoyant de contourner les obligations d’archéologie préventive pour des projets « d’intérêt national ». Chose rare, on a donc assisté à une manifestation d’archéologues le 12 juin à Paris. Ils alertaient sur la possible destruction de certains vestiges, tout en dénonçant l’absurdité économique de cette mesure : « Cela ne va pas dans l’intérêt des aménageurs, puisque, si les travaux d’aménagement permettent de détecter des vestiges substantiels, les travaux s’arrêtent immédiatement. On ne leur facilite donc pas la vie en accélérant le processus, c’est tout le contraire. L’archéologie préventive est justement le moyen de s’intégrer dans le calendrier des aménagements pour qu’ils se fassent tout en préservant les connaissances », affirme Nicolas Minvielle-Larousse. Si la globalité de la loi a été votée par l’Assemblée nationale le 17 juin, l’amendement en question a finalement été rejeté. Un soulagement pour les archéologues qui restent néanmoins vigilants et dénoncent un manque de moyens humains et financiers suffisants pour pouvoir traiter toutes les demandes et assurer pleinement leurs missions de sauvegarde du patrimoine. Cet amendement, sorti de derrière les fagots par quelques députés de droite, s’inscrit par ailleurs dans une dérive : celle de privilégier les intérêts privés capitalistiques au détriment des travaux scientifiques d’intérêt général. Une esquisse des bouleversements en cours aux États-Unis, où Donald Trump s’emploie à combattre la science par tous les moyens.



À Vienne, un nouveau musée en 2027

Les équipes de l’Inrap sont à pied d’œuvre sur deux sites entourant l’église Saint-Pierre à Vienne afin d’effectuer un diagnostic archéologique avant le début des travaux du futur musée d’Histoire de Vienne. L’occasion de refaire un point sur ce qui constituera le douzième musée départemental de l’Isère.

Construit autour des églises Saint-Pierre et Saint-Georges, ce nouvel équipement doit permettre « de donner à voir l’importance de l’histoire de la ville de Vienne et la richesse de son patrimoine, en réunissant dans un parcours sensible et cohérent les collections présentées actuellement dans le musée lapidaire, le musée des Beaux-Arts & d’archéologie et le cloître de Saint-André-le-Bas », lit-on dans un communiqué. On pourra y découvrir 800 œuvres le long d’un parcours en cinq étapes : Le Rhône, premières traces d’occupation et d’échanges (de – 45 000 à – 750) ; Vienne, du site gaulois à la ville romaine (du Ve s. avant J.-C au IVe s.) ; Vienne, capitale religieuse (du Ve s. au XIVe s.) ; Vienne et le Dauphiné (du XIVe s. à la Révolution), Vers une ville moderne (depuis la Révolution). Dernière date d’ouverture annoncée : été 2027. Nul doute que VRAAC existera toujours d’ici là pour le visiter et vous en parler en détail…

Photo © Mickaël Lagache, Inrap

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