Bande dessinée

Locard & Grouazel : une BD pour « se réapproprier la Révolution »

/ Par Hugo Verit

Comment vous est venue l’idée de cette bande dessinée sur la Révolution française, période très complexe de notre histoire ?

Younn Locard : C’est une période pour laquelle le récit est très officiel – académique et politique. C’est le roman national, quoi. L’idée, c’était de se la réapproprier, car on avait l’impression que personne chez les libertaires ne parlait de la Révolution française, qu’on laissait cela uniquement aux patriotes. On avait envie de réactiver la partie révolutionnaire, enthousiasmante, utopiste et sociale de ces événements.

Florent Grouazel : On voulait creuser la question et essayer de gratter toutes les images d’Épinal de la Révolution. Car toute cette période est souvent résumée avec quelques grands totems (la guillotine, le bonnet phrygien, La Marseillaise, le drapeau tricolore…). Nous, on essaye de faire une histoire de la Révolution qui ne tourne pas autour de ces symboles-là. Des symboles qui masquent un peu la vue et qui sont vachement liés à l’histoire de la République au XIXe siècle et à l’histoire de la réaction aussi. Car dès qu’on parle de Révolution française, on a des images de têtes coupées. Cela montre que le récit majoritaire est celui du point de vue des têtes coupées, c’est-à-dire pas tant de gens que ça. Alors, on ne fait pas l’impasse sur la violence, mais on essaye d’en faire un sujet à part entière, pas juste un épouvantail.

C’est vrai que la Révolution est très souvent instrumentalisée par la droite réactionnaire pour faire peur. Percevez-vous une évolution du discours politique sur cette question ?

F.G. : Récemment, en tout cas, j’ai vu sur France Télévisions ou Arte deux-trois choses qui me semblaient vraiment changer de point de vue en mettant notamment en avant des personnages comme Pauline Léon ou Reine Audu – des femmes dont on entendait peu parler, et qui sont justement dans notre BD. Mais, sur le plan politique, j’observe en ce moment deux mouvements contradictoires. D’un côté il y a une remontée de symboles révolutionnaires dans les manifs. Et de l’autre, une espèce de levée de boucliers des dominants qui disent : « La taxe Zucman, c’est la guillotine ! » Tout le monde se met à réutiliser ces symboles complètement outranciers. Ce n’est pas terrible pour la compréhension de la Révolution en elle-même, mais ça dit quelque chose sur notre époque qui refantasme tout à coup 1789, et surtout 1793.

Ce qui fait du bien dans votre bande dessinée, c’est qu’elle déjoue toute vision trop manichéenne des événements. Même vos personnages les moins vertueux ne sont pas jugés. Pourquoi cette volonté ?

Y.L. : Dès la Révolution, tout de suite, les discours des députés et des journalistes sont remplis de personnages maléfiques. Et c’est encore la vision qu’on en a : les méchants et les gentils, ce qui n’est vraiment pas pertinent. La question qu’il faut se poser est celle des intérêts, à qui profite tel ou tel événement. Donc nos personnages – et on s’est bien pris la tête pour ça – ils ont tous des bonnes raisons d’agir, personne n’est fondamentalement méchant, même s’il y a des vrais salauds.

F. G. : Dans notre BD, il y a des gens qui doutent de pas grand-chose, et d’autres qui, au contraire, sont baladés par les événements et ne savent pas trop où ils vont. Et nous, on est quand même plus du côté de celles et ceux qui ne sont pas très sûrs d’eux, qui n’ont pas le luxe d’avoir un avis très tranché, et qui n’essaient pas de forcer tout le monde à faire advenir leur vision politique des choses. En résumé, ceux qui ne désirent pas être aux manettes.

Ici, il faut préciser que vous avez pris le parti de mettre en scène des personnages de fiction pour raconter cette histoire. Pour quelle raison ?

Y.L. : Les personnes historiques dont on aurait pu raconter l’histoire, ce sont des personnages de premier plan que l’on connaît déjà très bien. Et on ne pense pas que ces gens-là soient le moteur de courants historiques – des espèces de personnages qui emporteraient un siècle avec eux – ce sont plutôt des épiphénomènes de mouvements de fond sociologiques, historiques, économiques. Donc la fiction est un moyen de raconter cette histoire autrement.

F.G : Et puis, on peut avoir toute la documentation qu’on veut sur une personne, y a plein de choses qui nous échappent. Je crois vraiment que les personnages de fiction sont, pour nous, plus réels, plus existants et se rapprochent plus d’une vérité. Pour cela, d’ailleurs, on les remplit d’éléments inspirés de gens qu’on connaît, en se disant que ça parlera peut-être aux lecteurs aussi. Pour respecter au mieux les faits historiques et les personnes qui ont existé, mieux vaut passer par la fiction. Ça permet de ne pas faire n’importe quoi avec n’importe qui.

Autre originalité, votre BD assume de perdre son lecteur. On se retrouve dans la peau de vos protagonistes qui ont eux-mêmes du mal à suivre les événements… Est-ce conscient ?

F.G : Oui, on cherche à plonger les lecteurs dans une forme d’incompréhension, on ne donne pas de repère, pas de dates… C’est une façon de garder un plaisir de lecture. On est assez friands de cette façon de perdre volontairement les gens qui, au fur et à mesure, par déduction, sont en train de construire un savoir avec nous. Et en plus, ça aide à être avec les personnages. On est alors pris dans quelque chose qu’on est censé connaître, parce qu’on a tous lu une chronologie de la période à l’école, sauf qu’ici on a préféré mettre la focale sur des éléments qui ne sont pas enseignés, qui ne rentrent pas dans le roman national.

Y.L : Après, tout dépend de ce qu’on attend d’une BD. C’est vrai que, en l’occurrence, dans une bande dessinée, les gens s’attendent à quelque chose de complètement clair, sans ambivalence, univoque. On a tous les deux fait une école de BD et c’est clairement ce qu’on nous a appris. Mais nous, on a aussi envie d’emmener notre médium vers un truc que le cinéma, par exemple, se permet depuis très longtemps.

Photo © Florent Grouazel et Younn Locard

LOCARD & GROUAZEL

Samedi 22 novembre à 15h

Musée de la Révolution française (Vizille)

Gratuit

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