Serge Zaka s’emploie depuis quelques années à faire connaître sa profession : l’agroclimatologie. Il est l’un des invités de la Biennale des villes en transition, où il participera à une table ronde sur le thème : « À quoi ressemblera l’agriculture de demain ? ».
/ Par Hugo Verit
Qu’est-ce que l’agroclimatologie, cette discipline si méconnue du grand public ?
Serge Zaka – Je vais vous répondre en deux temps. L’agrométéorologie d’abord, c’est l’impact de la météo sur l’agriculture à court terme. Est-ce que je dois protéger mes pommiers en fleur parce qu’on annonce du gel le lendemain ? Est-ce que je dois irriguer mes cultures car il ne va pas pleuvoir pendant 15 jours ? L’agroclimatologie ensuite, c’est l’impact du climat sur l’agriculture, à long terme. Donc cela concerne les décideurs, les maires, les politiques, les ministères, en plus des agriculteurs. Par exemple : est-ce que la ville de Grenoble doit commencer à travailler sur l’arrivée de l’abricot en créant la fête de l’abricot, en soutenant la filière qui se développe ? Est-ce qu’il va falloir abandonner la culture de la noix ? Dans les deux cas, c’est une science hyper concrète.
Et nouvelle ? C’est pour cela qu’on la connaît si peu ?
S.Z. – Non ce n’est pas nouveau ! Mais c’est méconnu en Europe car on a segmenté les études à l’université (l’agronomie d’un côté, la climatologie de l’autre), les élèves ne sont pas sur les mêmes campus et ne se parlent pas entre eux. Il faudrait faire évoluer les cursus universitaires pour créer plus de multidisciplinarité. D’autant qu’on a d’autres problématiques avec le changement climatique : l’aménagement des villes qui dépend de l’urbanisme, les risques de maladie qui demandent des études de médecine, etc. Moi j’ai fait des études d’agronomie, et étant chasseur d’orages, j’ai appris tout seul la climato et la météo. J’ai donc relié logiquement les deux et j’ai fait une thèse à propos de l’impact du réchauffement climatique sur l’agriculture.
C’est aussi une discipline qui a plus de sens aujourd’hui ?
S.Z. – Jusqu’alors le climat était stable, donc on a développé la chimie, la génétique, l’irrigation, plein de techniques artificielles qui permettaient de s’affranchir de certains effets climatiques. Le climat, on essayait de le mettre sous le tapis, c’était une contrainte. Maintenant il revient à l’avant. Ce n’est plus une contrainte, c’est le moteur. Les agriculteurs sont confrontés à des gels tardifs après floraison, à des sécheresses de plus en plus intenses, à des canicules et des stress thermiques de plus en plus importants. Donc l’agroclimatologie revient sur le devant de la scène.
Comment le changement climatique va-t-il bouleverser l’agriculture française ?
S.Z. – La variable la plus importante du réchauffement climatique pour les viticulteurs et les arboriculteurs, c’est le manque de froid. Les arbres ont besoin de froid pour fleurir. Et s’ils ne fleurissent pas, il n’y a pas de fruit. Or le climat évoluant, un pommier golden, implanté à Biarritz par exemple, il ne pourra plus pousser à l’avenir. Ensuite, il y a les sécheresses bien sûr, et puis les canicules. Quand il fait trop chaud dehors, les humains peuvent s’abriter dans une maison, le végétal non. Il dépend d’une certaine gamme de résistance physiologique définie par sa génétique. Un blé au-dessus de 30°C, il commence à avoir des problèmes, une vigne au-dessus de 42°C, elle a de très forts problèmes, tout comme l’olivier ou le sorgho. Même si on met de l’eau, il fait trop chaud pour la plante, elle va ralentir et arrêter sa croissance, voire brûler et mourir. Les pommes et les poires, qui doivent rester sur l’arbre en automne, vont subir ces risques de brûlures. Ainsi, après 2050, les poiriers et les pommiers disparaîtront très rapidement du paysage. Du côté de Grenoble, c’est la production animale qui sera l’une des plus impactées, notamment dans les hauteurs où les animaux vont rencontrer des problématiques de nutrition en été car les prairies vont jaunir de plus en plus… En hiver, sur la plupart des régions françaises, on aura aussi des excès d’eau. Ce qui pose des problématiques d’accessibilité des champs, car les machines sont tellement lourdes qu’elles s’enfoncent dans le sol et s’embourbent. Cela favorise également les maladies et impacte les semis car l’humidité fait moisir les graines.
« La meilleure façon de s’adapter à +4°C, c’est tout simplement de ne pas y arriver. »
Alors, peut-on s’adapter à ces nouvelles contraintes ?
S.Z. – On peut déjà travailler sur la génétique et proposer de nouvelles variétés. Par exemple, à Grenoble, on pourrait remplacer la noix Franquette par un autre type de noix qui aura moins besoin de froid pour fleurir et sera plus résistant aux fortes chaleurs. Autre point d’adaptation : changer d’espèce. Là c’est un changement de filière de production. La pomme de terre blanche classique, qu’on utilise pour les frites, va-t-elle être remplacée par la patate douce ? Est-ce qu’on pourra produire plus de tomates en Bretagne ? Mais attention, ce n’est pas parce que l’agriculture a des voies d’adaptation qu’il faut continuer à émettre des gaz à effet de serre ! Il faut aussi réduire les émissions à échelle mondiale. Car jusqu’à +3°C, on peut s’adapter, mais à +4°C, ça devient beaucoup plus complexe. Et la meilleure façon de s’adapter à +4°C, c’est tout simplement de ne pas y arriver.
Les consommateurs ont aussi leur rôle à jouer dans cette histoire…
S.Z. – Oui, notamment par rapport à la consommation de viande et de plats préparés qui ont des impacts sur le climat beaucoup plus importants que d’autres types de nutrition. La viande, c’est 50 % des gaz à effet de serre de l’assiette des Français. C’est énorme ! Par contre, il serait faux de dire qu’il faut devenir végétarien à 100 %. Car les animaux sont très imbriqués dans le végétal. Si toute la population française était végétarienne, on n’aurait pas de fertilisation pour nos cultures, surtout pour le bio qui dépend totalement des animaux pour la fertilisation. Dans certaines zones humides, il est également important d’avoir des animaux parce que, si on retourne la terre pour mettre des cultures à la place, on va perdre fortement en biodiversité. Et puis ça évite une certaine pression foncière. Parce qu’on peut aussi avoir des promoteurs qui viennent construire des maisons, ou des Darty… Les terres vacantes dans les zones humides, en général, ce n’est pas très bon…