Avec « La Vie secrète des vieux », le metteur en scène Mohamed El Khatib, adepte du théâtre documentaire, a imaginé un spectacle centré sur les désirs charnels des personnes âgées. Une éclatante réussite portée par les principaux concernés à découvrir à la MC2.
/ Par Aurélien Martinez
« Les vieux ne parlent plus, ou alors seulement, parfois, du bout des yeux », chantait Jacques Brel dans sa chanson Les Vieux. S’il était encore de ce monde, le Belge aurait pu assister à une représentation du spectacle La Vie secrète des vieux pour constater que ce qu’il assène n’est pas forcément vrai, loin de là. Car avec le metteur en scène et auteur Mohamed El Khatib, les vieux vivent, rient, rêvent et, surtout, désirent toujours, et pas seulement du bout des yeux.
Parti d’entretiens menés dans des Ehpad juste après le confinement, alors que les personnes âgées avaient été les premières victimes de la crise sanitaire et de ses conséquences (notamment l’isolement forcé), Mohamed El Khatib a conçu une de ces aventures dont il a le secret, lui l’adepte d’un théâtre documentaire aux frontières floues – qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui ne l’est pas, mystère… Sur scène, quelques membres d’une classe d’âge invisibilisée se livrent avec une franchise désarmante et touchante, évoquant aussi bien la vie que la mort à venir.
75 ANS ET PLUS
« J’ai pris conscience que l’attention que nous portons aux personnes âgées passe souvent par le prisme de la dépendance et de la perte d’autonomie. On ne s’intéresse pas ou peu à leur vitalité, aux désirs qui les animent et plus particulièrement à leurs désirs amoureux », expliquait l’an passé Mohamed El Khatib dans une interview accordée au Festival d’Avignon, là où sa pièce fut ovationnée. Sa démarche répare généreusement ce manquement. L’amour et le désir ne disparaissent pas forcément avec l’âge, démontre la petite dizaine d’interprètes du spectacle, tous âgés de plus de 75 ans. Alors face au public, avec une présence scénique parfois fébrile, ils et elles parlent de sexualité : celle d’hier comme celle d’aujourd’hui, celle que la société ou la famille n’accepte pas, celle qui fait pourtant un bien fou au corps comme à l’âme… Du théâtre vérité construit autour d’un petit groupe qui, certes, ne personnifie pas tous les vieux et toutes les vieilles, mais est assez diversifié pour embrasser large et porter ses propres histoires comme celles d’autres.
VIVRE SUR SCÈNE
« Compte tenu de leur âge, les personnes présentes sur scène sont susceptibles, telle Dalida, de mourir sur scène d’un instant à l’autre », est-il écrit avec ironie chaque soir sur le plateau, façon de conjurer le possible côté pathos du projet, mais aussi d’affirmer sa fragilité inhérente, donnant à chaque date de tournée un caractère unique. Il n’y a d’ailleurs pas qu’une seule distribution pour ne pas trop solliciter les interprètes. Et également pallier les manques. Tel celui de Jacqueline, ancienne présentatrice de la RTBF âgée de 91 ans. Elle était l’une des figures centrales des premières représentations – nous avons vu le spectacle l’été dernier à Avignon. Elle est morte en début d’année, a annoncé le metteur en scène sur ses réseaux sociaux. On imagine le vide laissé sur le plateau. Pourtant, show must go on.