Conçue à partir des collections de l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne (IAC), la nouvelle exposition du Magasin « Good Service, Good Performance », propose un parcours qui réunit une dizaine d’œuvres fortement ancrées dans leur temps… et dans le nôtre.
/ Par Benjamin Bardinet
Réalisée en 1989 par Pipilotti Rist, la vidéo qui ouvre l’exposition Good Service, Good Performance développe une esthétique punk qui n’est pas pour nous déplaire. L’artiste helvète, grande figure de l’art vidéo, joue de la matière de ce médium qu’elle malmène, distord et parasite. La bande-son, intense et omniprésente, est dominée par une voix qui scande des phrases aussi énigmatiques qu’inquiétantes : « Regarde ces couleurs, regarde ce programme TV amusant, regarde le Cosmos. Je suis aveuglé par la douleur. » Car effectivement il y est question de souffrance. À l’écran, l’artiste se met en scène, s’effondre, se noie, suffoque. Cette vidéo contient en elle quelque chose de puissamment cathartique qui répond aux angoisses du monde contemporain… celui de 1989… et peut-être plus encore, celui d’aujourd’hui. Lorsque Céline Kopp, directrice du Magasin, a commencé à concevoir cette exposition à partir de la collection de l’IAC de Villeurbanne, cette œuvre lui est apparue comme une évidence. C’est donc assez logiquement qu’elle ouvre le parcours, donne à l’exposition sa tonalité singulière et accessoirement son titre.
FRICTION ET CHAHUT
Modeste mais pertinent, le parcours propose au visiteur une expérience assez physique : il se fait gentiment chahuter, bascule parfois sans transition d’une ambiance apaisante à une autre beaucoup plus agressive. Les œuvres se répondent avec finesse, s’entrechoquent parfois, voire se frictionnent. Face à la matière vidéo corrosive de Pipilotti Rist, Mimosa Echard présente un étrange panneau explosif constitué d’une tambouille amalgamant éléments organiques et produits chimiques. Salle suivante, on se pose et on entre chez le psychanalyste avec une vidéo de Carey Young teintée d’une pointe d’humour anglais appréciable. Dans la foulée de cette séquence relativement apaisée, Stéphanie Nava nous claque à la figure une œuvre textuelle sans détours, tandis que derrière des rideaux, une sculpture sonore de Anne Le Troter nous propose d’écouter un récit érotique avec la bouche (par résonance osseuse). Une expérience qui invite à se plonger dans une forme d’intériorité propice à l’écoute de ces récits intimes susurrés et habilement mis en son. Sorti de cette parenthèse porno-poétique, on bascule dans une salle à l’éclairage clinique : devant nous se hérissent une série de portedrapeaux dénudés de toute bannière. Mis à nu ils font désormais obstacle et office de barrières…
SE DÉBATTRE PARMI LES SLOGANS
Si nombre de ces œuvres bousculent des réalités sociales et politiques de leurs époques respectives, elles interrogent souvent le rapport qu’on entretient aux discours, aux slogans et à tout ce qui peut être énoncé. Hans Haacke, fouineur invétéré, dénonce en 1981 le financement de programmes éducatifs télévisés par l’entreprise Mobil dont le président dit à l’époque avoir dépensé 102 millions de dollars en publicité car il voulait juste « être entendu ». Dans la vidéo de Carey Young, un psychanalyste soumet à sa patiente-artiste des slogans publicitaires qui renvoient à l’idée de créativité – tout cela moquant gentiment les stratégies marketing. Stéphanie Nava détourne une expression qui pourrait faire slogan, « tu mens comme tu respires (avec le même organe) ». Et enfin, dans l’étonnante vidéo d’Hiwa K, les possibilités du dialogue s’exercent pendant un combat de lutte… Une idée qu’on aimerait soumettre pour pimenter le débat du second tour lors de la prochaine élection présidentielle.